Lettre 858


Année 388


(Dossier Eusébios XXVII/26)


Pour l’avocat Diognètos, qui est de formation rhétorique, suivie à Samosate, puis à Antioche ; il est empêché d’exercer son métier car la législation de Théodose impose que les avocats soient passés par les écoles de droit1 (cf. ep. 857 à Satourninos). En défendant son ancien élève, Libanios défend la légitimité des études littéraires dans la formation des avocats. Diognètos est le porteur de la lettre. 


Εὐσεβίῳ


1. Γενόμενος ἐν Σαμοσάτοις οὑτοσὶ Διόγνητος καὶ τραφεὶς καὶ λαβὼν ἡλικίαν λόγων δυναμένην ἐρᾶν ἐρασθεὶς ἧκέ τε ὡς ἡμᾶς καὶ συνεχέσι πόνοις κτησάμενος ἐφ’ ἅπερ ἧκε τοῖς μὲν ἐπ’ ἄλλ’ ἄττα παρακαλοῦσιν αὐτὸν οὐκ ἠξίου προσέχειν, καλέσας δὲ τὸν Ἑρμῆν καὶ ἀφεὶς αὑτὸν εἰς τὰς δίκας ἐγένετο τοιοῦτος ὥστε μέγα τοῖς δικαζομένοις εἶναι τὸν ἄνδρα ἔχειν. 2. καὶ τοὺς ὅτι πάντως δεῖ Φοινίκης ἢ σιωπᾶν ἀνάγκη διήλεγξεν οὐ τἀληθῆ λέγοντας. εἰδὼς δή με σὺ καλῶς καὶ τῶν ἐμῶν ἀγνοῶν οὐδὲν οἶσθά που καὶ ἡλίκον τι τοῦτ’ ἐμοί. λέγοντος μὲν οὖν ἐγεγήθειν, μὴ λέγοντος δὲ ἄχθομαι καὶ ὅπως εἴπῃ πάλιν, εὔχομαι. 3. καὶ τῆς ὁδοῦ ταύτης ὁ καρπὸς οὗτός ἐστι. πεπόρευται δὲ ἐμοὶ πειθόμενος καὶ τοῦτο ἐμὴ παραίνεσις· ἣν κοσμήσεις μὲν δοὺς αὐτὸν ἡμῖν, οὐ δοὺς δέ σεσιγήσθω δὲ τὸ βλάσφημον.  

à Eusébios


1. Diognètos que voici est né et a été élevé à Samosate2 ; dès qu’il a atteint l’âge où l’on est capable d’aimer avec passion les discours, il les a aimés passionnément, puis il est venu chez nous et au prix d’efforts soutenus il a acquis ce pour quoi il était venu3. Il jugeait indigne de s’adonner à tout ce qui pouvait le solliciter4 et ayant invoqué Hermès5 , il s’est lancé dans les procès et il est devenu si talentueux que, pour les personnes en procès, il était appréciable d’avoir cet homme à leur côté. 2. Et il a montré l’erreur de ceux qui prétendent qu’il faut aller en Phénicie6 ou, nécessairement, se taire7! Toi qui me connais bien et n’ignores rien de ce qui me concerne, tu sais, je pense, combien cela compte pour moi8 ; en effet, quand il parlait, je me réjouissais, quand il ne parle pas, je m’afflige et je prie pour qu’il recommence à parler. 3. Le fruit de ce voyage est l’homme que voici : il a fait le trajet9 – je l’en ai convaincu – et je t’adresse ce conseil que tu honoreras en nous rendant cet homme10, si tu ne le rends pas, qu’au moins se taise la médisance11 !


1. Sur la mesure de Tatianos, préfet de Théodose, réglementant l'accès à la profession d'avocat, voir Cribiore 2007, p. 254

2. Samosate (ou Antioche de Commagène), située près du cours supérieur de l’Euphrate, fut capitale du petit royaume hellénistique de Commagène (du IIIe s. av. J.-C. à 72), puis intégrée à la province romaine de Syrie sous Vespasien. Le plus connu de ses citoyens est Lucien de Samosate, écrivain et rhéteur du IIe siècle. 

3. C'est-à-dire qu'il a appris la rhétorique et a acquis l’aisance oratoire.

4. Tous les plaisirs qui détournent de l’étude ; Libanios est un fervent défenseur de la philoponia.

5. Dieu de l’éloquence.

6. Allusion à la célèbre école de droit de Bérytos.

7. Allusion à la loi qui interdit d’être avocat sans formation juridique ; « se taire » signifie arrêter de plaider. Noter l’emploi de λέγω, terme générique qui montre bien que pour Libanios l'acte de plaider est avant tout de la rhétorique

8. C'est la situation de Diognètos qui importe à Libanios mais aussi, de manière générale, celle de tous les pepaideumenoi qui ont reçu une formation littéraire et dont les talents oratoires risquent d'être inemployés. 

9. D'Antioche à Constantinople.

10. Le conseil est de rendre Diognètos à la fois à la cité d’Antioche et à son statut d’avocat.

11. Ce βλάσφημον est l'« erreur », dénoncée au paragraphe 2, qui consiste à prétendre qu'avoir suivi des études de droit est indispensable pour exercer la carrière d'avocat. Ce manque de reconnaissance des écoles de rhétorique dans la formation de ces rhéteurs choque profondément Libanios.