Lettre 851


Année 388



(Dossier Proclos)

(Dossier Tatianos)


Libanios a repris contact avec le préfet du prétoire Tatianos en l’année 388, comme le montre la lettre 840. En la présente lettre, Tatianos est loué pour la politique menée en faveur des cités, en particulier les mesures de soutien aux curies, qui consistent essentiellement à lutter contre leur affaiblissement et à les revaloriser1. Ces mesures - qui résolvent en partie les difficultés et le marasme dans lesquels les prédécesseurs du préfet Tatianos, dont Maternos Cynégios (384-388), avaient laissé la cité d'Antioche - sont enregistrées dans le Code Théodosien2. Enfin, Tatianos est invité à accueillir favorablement une ambassade antiochéenne, envoyée à l’automne 3883


Τατιανῷ


1. Ἔδει τὴν βουλὴν ἡμῖν, ὡς ἔοικε, καὶ πεσεῖν καὶ ἀναστῆναι. τούτοιν δὲ τὸ μὲν πρότερον ἄλλων ὄντων ἐπὶ τῶν πραγμάτων γέγονεν· ἀνίσταται δὲ σοῦ τήν τε ἀρχὴν τὴν μεγάλην ἔχοντος καὶ πρὸς τὸ δέον τῷ δύνασθαι χρωμένου διώκοντος ἡδονὴν οὐ τὴν ἀπὸ τῶν τραπεζῶν, ἀλλὰ τὴν ἀπὸ τοῦ πόλεσιν ἐθέλειν ἐπικουρεῖν. 2. ἐπικουρεῖς δὲ ταῖς μὲν εἰς τὸ μὴ ἐκτριβῆναι, ταῖς δὲ εἰς τὸ γενέσθαι μείζοσιν. ἡμεῖς δέ ἐσμεν ἐκείνων τῶν προτέρων, οὐ μὴν ἔτι γε ἐσόμεθα σοῦ τιμῶντος οὕτω τὴν τοῦ δικαίου μοῖραν. 3. οἶμαι δέ σοι δόξειν ἡμᾶς οὐδὲν ἄδικον αἰτεῖν, ἀλλ’ ἅπερ ἂν ἀτυχοῦσα πόλις· ἣν εἰ μὴ σὺ παύσαις τοῦτο καὶ οὖσαν καὶ καλουμένην, ἀθάνατον μενεῖ τὸ κακόν. εἶ γὰρ Ἡρακλῆς τις ἕτερος. 4. οἴου δέ σε κἀκεῖνα παρακαλεῖν ἐπὶ τὴν βοήθειαν ἅ τε αὐτὸς ἅ τε ὁ παῖς αὐτῇ δέδωκεν, ὥσθ’ ἡμῖν εἶναι λέγειν τοῦτο Τατιανοῦ, τοῦτο Πρόκλου καὶ διὰ πάνυ πολλῶν ταῦτα ἱέναι τὰ ῥήματα. 5. ἀναμιμνήσκου δὲ κἀκεῖνο, ὅτι τήνδε τὴν πρεσβείαν σὴν οὐχ ἧττον ἢ τῆς πόλεως δεῖ νομίσαι. σὺ γὰρ δὴ τὴν κινοῦσαν καὶ παρακαλοῦσαν πρῶτος ἀφῆκας φωνήν· ὥστ

à Tatianos


1. Il fallait que notre conseil, à ce qu'il semble, tombât et se relevât. Des deux situations, c’est la première qui s’est produite alors que d’autres étaient à la tête des affaires ; mais il est relevé maintenant que tu détiens le grand commandement4 et qu’usant de ta puissance à bon escient tu poursuis non pas le plaisir que procure la table, mais celui que procure l’intention de porter secours aux cités. 2. Tu secours les unes pour qu’elles ne soient pas anéanties5, les autres pour qu'elles prospèrent6. Nous, nous faisons partie des premières7, mais assurément ce ne sera plus le cas si tu honores ainsi le parti de ce qui est juste. 3. À mon avis, tu jugeras que nous ne demandons rien d’illégitime, mais exactement ce que demanderait une cité malheureuse : or, si toi tu ne mets pas un terme à ce qu’elle le soit, de fait et de nom, alors son malheur durera éternellement. Tu es, en effet, un second Héraclès8. 4. Songe que réclament aussi ton aide les dons que ton fils et toi lui avez faits, au point que nous pouvons dire : « cela vient de Tatianos », « cela vient de Proclos » et ces mots s'appliquent à un très grand nombre de réalisations9. 5. Rappelle-toi encore ceci : cette ambassade doit être considérée autant comme la tienne que comme celle de la cité. Tu es, en effet, le premier à avoir fait entendre une voix qui entraîne et exhorte, en conséquence, si je disais que nous demandons ce qui a été promis10 , je n'aurais pas tort. 


1. Sur le « salut » des cités, voir Pellizzari 2011. Sur la désertion des curies, Laniado 2002.

2. CTh XI, 16, 18-19 ; XII, 1, 119-123. L’activité législatrice de Tatianos est importante : Petit 1955, p. 386-388 ; Liebeschuetz 1972, p. 270-276. 

3. Voir ep. 844 et n. 2 (Petit 1955, p. 418-419 : la reconstitution de la chronologie et de la composition des ambassades de 388 est complexe). Il s’agit de l’ambassade officielle d’Antioche, celle qui apporte, avec l’or coronaire, les félicitations de la cité pour les victoires de l’empereur ; c'est la seconde ambassade de 388, celle qui va en Italie d’après P. Petit, mais que Pellizzari 2017, p. 23, présente comme seulement envoyée à Constantinople.

4. La préfecture du prétoire. Voir aussi, pour l’usage de l’expression ἠ μεγάλη ἀρχή, ep. 871, 919, 938.

5. Anéantissement à comprendre au sens juridique (changement de statut) administratif et moral, bien plus que matériel. cf. ep. 846

6. Libanios dit littéralement « pour qu’elles deviennent plus grandes ».

7. C’est-à-dire : Antioche fait partie des « cités malheureuses ». 

8. Le héros Héraclès est protecteur des cités, comme on le voit dans l’épisode où il libère la cité d’Orchomène contrainte à verser un tribut aux Minyens. Pour le remercier, Créon, roi de Thèbes,  lui donne sa fille Mégara en mariage. Sur le culte d’Héraclès, cf. ep. 995.

9. Les « réalisations » sont certes les bâtiments et constructions qu’en nouveaux évergètes Tatianos et son fils Proclos ont offerts à Antioche (cf. ep. 852), mais on peut comprendre aussi des réalisations moins matérielles, c’est-à-dire administratives ou juridiques : voir note 10. 

10. Il s’agit ici de la politique de défense des curies que le préfet a inspirée à Théodose : elle consiste à alléger les charges qui pèsent sur les curiales, de façon à leur redonner « les moyens matériels de faire face à leurs obligations »  (CTh. VI, 3, 1 ; XII, 1, 131 ; Petit 1955, p. 386 ; Drecoll 1997, p. 235-236). L’un des moyens consistait à donner aux syriarques l’autorisation de prélever une contribution spéciale sur les sénateurs de Constantinople originaires d’Antioche (cette disposition est annulée en 393, après la chute de Tatianos). Au contraire, le préfet Cynégios avait rendu la syriarchie facultative (CTh. XII, 1, 109), ce qui équivalait à affaiblir les curies et à leur faire perdre du prestige. Le préfet Tatianos entreprend aussi de lutter contre la désertion des curies soit en cherchant à récupérer les curiales fuyards ou à les remplacer (CTh. XII, 1 119-123 ; exemple de fuyard ramené à la curie, Silvanus, dans Lib., Or. XXXVIII, 20), soit en s’opposant aux dispenses (atélies), celles-là mêmes que Libanios cherchait à obtenir pour ses amis les plus chers ! Enfin, il requalifia la fonction de conseiller (curiale) en octroyant aux conseillers méritants, ceux qui avaient consacré leur vie à la cité, la dignité de comte de 3e ordre (CTh. XII, 127). Il s’agissait bien d’une véritable revalorisation du rôle de conseiller, présenté comme sacré, et donc de l’institution-clé de la vie municipale (Petit 1955, p. 387, n. 3). En cela, Tatianos reprenait une politique qui avait été celle de Julien en 362-363 (Petit 1955, p. 387).